Source : Véronique Lesueur - Extraits de L'EVENEMENT N°767 du 15 juillet 1999

LE "SEXE" AUTREMENT ...

Safer-sex, cyber-sex, clonage,Viagra... En cette fin de siècle, la tendance est à l'asepsie sensuelle et affective, tous les ersatz sont bons. On hésite à se rencontrer, à se toucher, à s'aimer, a procréer, à désirer.

Le contact avec l'autre semble faire peur. On ne le connaît pas, on ne se reconnaît plus. Une trentaine d'années après les riches heures de la libération sexuelle, déculpabilisante et délicieusement excessive, on se retrouve le coeur et le corps en berne, la libido en panne de fantasmes.

Pour tout arranger, depuis les années 80, le sexe tous azimuts se révèle dangereux, et le spectre du sida plane sur les amours éphémères..

Evidemment, les rapports entre hommes et femmes ne sont plus ce qu'ils étaient. On se méfie. Mais les uns et les autres continuent de se chercher, très prudemment. Maladroitement. Car on manque toujours de temps, surtout pour s'aimer. En France, la moyenne pour la durée d'un coit atteint péniblement une dizaine de minutes... Le matérialisme ambiant a étouffé l'émotion, muselé l'imagination.

L'Occident est en panne de sens... et de sensualité.

Il faut donc chercher ailleurs pour se ressourcer. Les Américains, jamais à court d'idées nouvelles, ont anticipé le mouvement en inventant le New Age, gigantesque bric-à-brac mystique pour gogos en mal d'irrationnel. Cependant, grâce à cette mode spiritualiste, ont réémergé des traditions oubliées ou méconnues qui paraissent pouvoir apporter des solutions à nos problèmes existentiels, notamment en matière de sexualité et de couple. Les raffinements de la pensée orientale ouvrent des perspectives particulièrement intéressantes, prônant le cérémonial amoureux, la transcendance extatique, le rituel érotique...

Bref, le sublime! Bien loin de nos dogmes judéo-chrétiens déniant toute idée de plaisir...

L'Asie, en particulier, invite au voyage sensuel et à l'épanouissement spirituel qui nous font si cruellement défaut.

Depuis la plus haute antiquité, les Japonais, et surtout les Chinois, ont accordé une place prépondérante à la sexualité, privilégiant tout à la fois le plaisir et la procréation. Dans l'ancienne tradition chinoise, une activité sexuelle intense et sereine est gage de bonheur et de santé.

Jamais on ne l'associe à la culpabilité ou au péché.

Entre deux partenaires, pas de tabous, on peut tout oser. Car l'union de l'homme et de la femme est rendue sacrée par l'équilibre spirituel et physiologique qu'elle procure, produisant l'union de deux principes naturels à la fois opposés et complémentaires.

Le taoïsme, un ancien système de croyances religieuses et philosophiques vieux de plus de cinq mille ans, a établi cette doctrine de l'harmonie ultime et universelle.
Pour y parvenir, il suffit de suivre le tao: littéralement, "la Voie", le fonctionnement de l'univers. Pour les taoïstes - de même que pour les bouddhistes zen -, la vie est un équilibre entre des contraires, et tout événement dans notre existence est contrebalancé par une réaction égale et opposée.
Toute chose est animée par deux forces: le yin, négatif, passif et fertile le yang, positif, actif et destructeur. La composante majeure de la nature féminine est considérée comme yin, alors que l'homme a une prédominance yang. La femme ayant besoin que la force de l'homme lui soit communiquée, et vice versa, un échange doit se produire lors du coït: dans le tao sexuel, l'accouplement est indispensable à l'alchimie corporelle interne. Il permet de soigner ou d'éviter un grand nombre de maux, et même de prolonger la vie.
A l'origine, les moines taoïstes s'efforçaient d'acquérir l'immortalité en réglant le rythme et le nombre des mouvements du coit. Ils avaient six façons différentes d'introduire le pénis dans le vagin de leurs partenaires, neuf façons de l'y agiter et enseignaient à leurs compagnes dix manières de bouger pendant l'accouplement. Un objectif étant de faire circuler le " qi " (l'énergie vitale) et remonter I' " Essence de Vie" (l'energie du sperme) du sexe au cerveau, pour régénérer l'organisme... En ces temps reculés, le tao sexuel n'était révélé qu'à quelques bienheureux initiés.
Si les hautes sphères de cette pratique demeurent toujours inaccessibles, il est aujourd'hui possible aux Occidentaux de la découvrir dans une version simplifiée, plus adaptée à notre tempérament et aux impératifs de la vie moderne.

Mais il faut se rendre à New York pour rencontrer un des plus fameux taoïste actuel: Mantak Chia, un drôle de personnage.Originaire de Thaïlande, il est né en 1944 de parents chinois.
A 6 ans, des moines bouddhistes lui ont enseigné la boxe thaïe, puis le taiji quan, le yoga et l' aïkido.
Puis il a suivi l'enseignement de plusieurs maîtres, étudiant les secrets des moines de Shao Lin en même temps que le taoïsme et le zen, ces deux doctrines étant liées par une même approche de la sexualité.
En 1979, maître Chia a fondé aux Etats-Unis une école destinée à ceux qui veulent développer leurs énergies par l'acte sexuel.
Moins de cinq ans plus tard, il avait fait des centaines d'émules et diffusait son enseignement en Europe, au Canada et en Australie. Mantak Chia apprend aux Occidentaux à jouir sans éjaculer, donnant quelques trucs pour se retenir: la femme peut faire retomber l'excitation de son partenaire en lui pinçant le point " p'ing-yi " situé à 3 cm sous le mamelon droit.
Un homme peut aussi contracter son abdomen pour réaliser la " Grande Aspiration " spermique... ou compter jusqu'à 1 00 en pensant à autre chose! "Lorsque nous avons un orgasme normal, l'énergie s'échappe de l'intérieur de notre corps pour se répandre dans l'univers ", enseigne maitre Chia.
En gardant en eux leur semence, les disciples augmentent leur vitalité et font grimper leur partenaire au septième ciel en leur faisant l'amour pendant des heures avant d'atteindre I'" extase cosmique" d'un orgasme inconnu du profane. Mantak Chia lui-même se flatte de n'avoir jamais éjaculé en dix ans de mariage: " Quand ma femme et moi avons décidé de faire un enfant, j'ai éjaculé deux fois. La première éjaculation fut solitaire, pour rejeter toutes les cellules spermatiques affaiblies de mon corps", et la seconde, déterminée en fonction de l'ovulation, lui donna un fils...

Le nouveau tao sexuel se révèle très attractif pour les Occidentaux, malades du sexe, mal à l'aise dans leurs relations : il privilégie le couple, exalte la fidélité en tant que facteur d'équilibre, remplace la notion de performance sexuelle par celle de bien-être partagé.
Exit le sexe vite fait, mal fait, les rapports multiples et scabreux. On redécouvre la sensualité, on réapprend à faire l'amour longtemps. Bien sûr, c'est d'abord un peu technique, mais les adeptes (environ 15 000 en France) affirment qu'on s'y fait très vite...
Leur première leçon: la pénétration irrégulière, au rythme de trois, six ou neuf coups superficiels pour un profond. Selon Mantak Chia, cette méthode a l'avantage de stimuler une zone très érogène du conduit vaginal, car " la zone la plus sensible chez une femme est située à environ un pouce à l'intérieur de son vagin sur la paroi supérieure ". Où l'on redécouvre le point G! Plus complexe, la suite des opérations est consacrée à l'apprentissage de diverses positions sexuelles curatives: selon le tao, il existe des postures spéciales susceptibles de guérir des maladies. Pour favoriser la circulation sanguine et soi gner l'hypotension, il est par exemple recommandé à la femme de chevaucher son partenaire allongé: une prescription à suivre quotidiennement, quinzejours d'affilée... La femme de Mantak Chia - qu'il a lui-même initiée-, la belle Maneewan, a concocté ses propres recettes d'amour qu'elle enseigne dans leur centre new-yorkais, le Healing Tao Center. A des centaines d'Américains et d'Européens désireux de réapprendre des gestes qu'on supposerait naturels, elle fait découvrir l'art du baiser: " Frottez votre nez contre celui du partenaire, sentez l'étincelle d'énergie qu'engendre ce contact.
Faites entrer votre langue dans la bouche du partenaire. Massez sa langue avec la vôtre, sentez la force qui passe de votre langue à la sienne. " Et les élèves, studieux, d'appliquer consciencieusement ces sages préceptes... Car chacun y trouve son compte : les isolés, divorcés ou célibataires, espèrent rompre leur solitude par l'acquisition d'un solide savoirfaire amoureux; les plus âgés - 60 ans et plus - apprennent à entretenir une activité sexuelle bénéfique pour leur santé; et les femmes sont l'objet d'une attention dont elles n'ont jusquelà que rarement bénéficié. "La femme est notre temple, on doit l'honorer", disent les initiés.
Il faut donc impérativement la faire jouir. Appréciable, lorsqu'on sait qu'une femme sur trois, chez nous, s'affirme privée d'orgasmes. Bien sûr, pour les vrais adeptes, le tao de l'art d'aimer n'est qu'un aspect parmi d'autres de cette philosophie dont dépend leur mode de vie. Aux autres, cette sexualité zen, dédramatisée et paisible, apporte un peu de magie au quotidien, du réconfort, de l'espoir.
Les taoïstes ont même une technique pour permettre aux impuissants de satisfaire leurs compagnes. Pas de panne qui tienne! Une véritable aubaine pour les libidos ramollo... Tous ceux qui essayé le tao sexuel se disent comblés, émerveillés comme des gosses: " Ça marche! "
Devant tant d'enthousiasme, on ne peut que s'incliner... Et se plonger à son tour dans un univers de délices où tout n'est qu'harmonie, calme et volupté...

VÉRONIOUE LESUEUR